Observatoire FnAK 2018 – Les Chercheurs Alumni
La découverte des chercheurs alumni
En 2015, l’Allemagne lançait la marque Research in Germany – Land of ideas pour attirer les meilleurs chercheurs internationaux et créer des liens durables avec eux[1]. Cette initiative n’aurait pas été possible sans l’impulsion de Georg Schütte, recruté par le ministère fédéral de l’Éducation et de la Recherche lorsqu’il était secrétaire général de la Fondation Humboldt. Cette initiative est même l’aboutissement d’une coopération de longue date, ce que résume parfaitement un magazine consacré à la découverte des chercheurs alumni[2].
Presque impensable il y a à peine 20 ans, cette innovation découle évidemment de la très forte contribution des alumni au fonctionnement des universités, démontrée par les Etats-Unis : les chercheurs alumni sont des ambassadeurs de la recherche allemande, un groupe cible distinct à fidéliser. Pour les deux publics – alumni et chercheurs alumni -, le travail commence dès l’arrivée dans l’établissement. Il exige des universités qu’elles se développent à la fois en tant que prestataires de formations et de services : c’est là que qu’elles doivent d’abord établir la relation de confiance, avant de pouvoir leur demander de l’aide.
A la différence toutefois des étudiants, sensibles au lien émotionnel ou à la nostalgie envers leur alma mater, les chercheurs alumni attachent davantage d’importance aux avantages clairs apportés à leur travail quotidien avant de rejoindre un réseau alumni. Pour être attractif auprès d’eux, un agenda haut de gamme doit leur être proposé, axé sur la recherche et adapté à leurs besoins et intérêts professionnels spécifiques.
Par conséquent, les chercheurs alumni seraient des ambassadeurs idéaux de la France. A l’issue de leur séjour, à condition naturellement qu’ils aient bénéficié des meilleures conditions d’accueil, leur exposition à l’excellence de notre recherche et leur expérience directe de notre pays leur permet de communiquer leurs connaissances et impressions à un public international.
Ils sont mieux informés et plus authentiques lorsqu’il s’agit de la recherche française et de la promotion de la France comme centre international de recherche de premier plan. Les relations avec eux sont bien plus spécifiques, car ils peuvent appuyer l’internationalisation de leur université d’accueil qui, quant à elles, peut affiner son profil international et améliorer son positionnement dans la guerre mondiale pour les talents.
Pour les universités, l’investissement est clairement rentable. Les chercheurs alumni sont en quelque sorte leur visage dans le monde. Ils ont le pouvoir de rehausser la réputation nationale et internationale et peuvent :
- apporter un soutien précieux en tant qu’enseignant ou mentor de l’établissement hôte;
- aider à le positionner dans le monde entier comme un lieu attrayant d’apprentissage et de recherche ;
- contribuer à optimiser l’enseignement et la recherche par leur critique constructive et leurs connaissances ;
- renforcer le réseau de l’université dans le monde des affaires, de la politique, de la science et de la recherche, élargissant et renforçant ainsi sa sphère d’influence ;
- contribuer également à leurs propres réseaux, facilitant ainsi les contacts avec les donateurs potentiels, les sponsors et les partenaires de collaboration.
La clé pour les alumni est ce sentiment gagnant-gagnant. La qualité et l’orientation professionnelle d’un réseau sont des facteurs essentiels pour que les chercheurs alumni se joignent à un réseau et s’y sentent fidèles. Surtout à un moment où l’adhésion à de multiples réseaux alumni est la norme.
Pourtant, alors que presque toutes les universités allemandes impliquées attachent une grande importance au soutien aux chercheurs invités internationaux, les activités entreprises avant et après le séjour de recherche sont rarement ancrées dans les politiques universitaires à un niveau stratégiques. Les services des relations internationales ou des ressources humaines, généralement chargés de soutenir les chercheurs invités pendant leur séjour à l’université, sont rarement acteurs de la gestion des relations post-visites, bien qu’ils coopèrent fréquemment avec les bureaux alumni.
En France, c’est la même situation qui prévaut. Or, Ce qui est particulièrement important pour les publics en mobilité au cours de ces phases de leur vie et de leur carrière, ce sont précisément les liens qu’espèrent établir les universités avec eux pour pouvoir développer des relations réciproques. Autrement dit, la méthode d’accompagnement du cycle de vie des chercheurs alumni, développée Outre-Rhin par la Fondation Humboldt (AvH), paraît applicable en France suivant 5 phases :
Les explorateurs
C’est le séjour en France, les premiers succès dans la recherche, l’immersion dans un groupe de travail ou une institution en France, l’apprentissage du français et des défis liés à la mobilité internationale, les contacts professionnels, connaissances, amitiés et expériences qui marquent une vie, bref : la formation de liens avec la France.
Pour l’alma mater, c’est le temps de l’accueil des chercheurs et de leurs familles via son Centre EURAXESS pour toutes les questions liées à l’arrivée et au séjour, crucial pour l’établissement de liens professionnels et affectifs et l’enregistrement des données personnelles conformément au RGPD[3].
Les fonceurs
C’est le retour dans le pays d’origine ou le séjour dans un autre pays, l’emploi dans un premier poste, la planification des prochaines étapes de la carrière, l’établissement d’un profil académique propre, le retour dans les réseaux locaux, de nouvelles visites à l’étranger, les projets de recherche avec un plus grand nombre de partenaires et le maintien des relations avec la France.
C’est le temps des premières expériences d’orientation d’autres chercheurs envisageant un séjour de recherche en France, de l’exploitation d’un réseau dans un autre pays pour faire avancer sa propre carrière scientifique, l’utilisation de contacts en France pour les aspects personnels de son propre travail scientifique.
Pour l’institution d’accueil c’est le temps de l’information des chercheurs alumni sur les développements, les activités et les ressources intéressantes de l’institution en France. Ce sont les contacts avec d’autres alumni de l’établissement dans l’actuel pays de résidence du chercheur alumni.
Les réseauteurs
C’est un poste permanent à l’étranger en tant que chercheur expérimenté, l’installation et la reconnaissance dans le domaine d’expertise, la préparation à une promotion, un nouveau séjour de recherche à l’étranger, en France ou ailleurs.
C’est le temps de l’expérience dans l’obtention de financements, du développement de sa propre équipe et de l’élargissement des contacts académiques dans le pays et à l’étranger, du renforcement de l’exploitation des réseaux en France pour sa propre recherche académique et pour inciter les jeunes chercheurs à y faire de la recherche.
Pour l’alma mater, c’est celui d’offrir un nouveau séjour de recherche en France, de l’intégration des chercheurs alumni en tant que conférenciers, le soutien de la coopération à long terme entre établissements d’accueil et d’origine, etc.
Les façonneurs
C’est l’emploi à l’étranger à un poste de direction dans un établissement de recherche, la réputation grâce à un domaine d’expertise plus large, la direction d’équipes, un rôle accru en tant que manager. Ce sont les grands projets de recherche, y compris ceux auxquels participent plusieurs pays.
C’est le temps de la compréhension approfondie des réseaux et de la façon de les activer efficacement, de l’intérêt à poursuivre le mentorat de ses protégés et à les placer dans le système académique, de l’importance des contacts internationaux pour sa propre réputation et position en tant que conseiller de l’établissement d’origine pour les questions liées à l’internationalisation. Pour l’alma mater, c’est aussi celui de leur conférer un rôle d’ambassadeur de la culture et de la science française auprès des représentants de la communauté scientifique du pays d’origine et d’autres acteurs importants de la société.
Les mentors
C’est la forte réputation au sein d’une discipline académique, la fin des tâches d’enseignement et d’administration, plus de temps pour la recherche, un rôle assumé de conseiller stratégique.
C’est le temps de l’activation systématique des réseaux pour des intérêts de recherche spécifiques, de l’intérêt accru pour la transmission d’expériences et le giving back.
Pour l’alma mater, c’est enfin l’intégration des chercheurs alumni en tant que représentants, par exemple lors de congrès à l’étranger, et leur intégration en tant que conseiller sur les questions d’internationalisation à un niveau stratégique élevé.
En définitive, selon l’AvH, une initiative chercheurs alumni repose sur 3 piliers : construire les structures nécessaires, utiliser les chercheurs alumni pour des responsabilités stratégiques et offrir des services liés à la science à ce groupe particulier d’anciens.
Le futur des chercheurs alumni
L’excellence attire l’excellence. C’est ce que réaffirme la Fondation Humboldt dans une nouvelle publication parue en 2018[4]. Une culture de l’accueil alliée à un haut degré de professionnalisme sont essentiels pour lier les scientifiques et chercheurs de haut niveau. Il est nécessaire d’atteindre à la fois la tête et le cœur pour obtenir fidélité et liens durables. Si la communication numérique deviendra sans doute plus facile et simplifiée avec le temps, les obstacles à surmonter en termes de distance physique pourraient bien augmenter. Les voyages pourraient devenir plus coûteux et les environnements géopolitiques pourraient bien limiter les activités transfrontalières.
La taille de l’université joue un rôle important, les grandes pouvant mieux utiliser le potentiel des chercheurs alumni lorsqu’il s’agit de solliciter leurs conseils en matière d’internationalisation. Le contact personnel entre ces derniers et leurs anciens établissements d’accueil demeure un aspect essentiel du travail. Les bourses de réinvitation sont extrêmement populaires, de même que les conférences spécialisées ou les événements réservés aux chercheurs alumni.
Le thème du développement (international) de la carrière est essentiel pour nombre d’entre eux, en particulier en début de carrière. C’est pourquoi il convient d’offrir des événements de réseautage autour de ce sujet. Dans l’ensemble, on peut dire que les projets universitaires ne seront efficaces que s’ils apportent une valeur ajoutée et des avantages clairs.
Les réseaux sociaux recèlent un énorme potentiel pour forger des liens avec les chercheurs alumni de la génération Y (ou millennials). Avec leurs attentes numériques et Web (LinkedIn, Research Gate, academia.edu), leurs connaissances et leurs besoins, ils vont changer profondément la sphère des relations avec les alumni. Alors que les générations précédentes distinguaient vie professionnelle et vie privée, la génération Y brouille les frontières entre ces deux mondes. La communication avec les médias sociaux doit tenir compte de ces tendances et répondre à l’évolution des habitudes des futurs chercheurs alumni appartenant à la génération Y. Ceux qui gèrent les chercheurs alumni doivent penser l’évolution de la structure et de la fonctionnalité des réseaux en ligne existants.
Il s’agit donc aussi de profiter de cette opportunité en partageant le contenu de son site Web via les réseaux sociaux, d’y rechercher ses influenceurs, d’y être authentique.
Se projeter dans l’avenir grâce aux chercheurs alumni peut alors se dérouler en 4 étapes :
- élaborer une stratégie dédiée ;
- Créer et développer l’organisation pour le travail chercheurs alumni ;
- Personnaliser le dispositif en fonction de leurs attentes ;
- Utiliser le potentiel des chercheurs alumni et les impliquer dans les activités stratégiques de l’établissement.
Avec les changements fondamentaux qui se profilent à l’horizon, comment être attractif pour les chercheurs de demain ? La numérisation du monde, les superordinateurs et le big data nous ont fait basculer dans le quatrième paradigme : la science pilotée par les données. On s’attend à des effets particulièrement spectaculaires dans les sciences humaines et les arts.
Les frontières entre les domaines de recherche et les disciplines s’estompent. Il n’y aura pas de limites aux possibilités de collaboration entre les diverses disciplines de recherche et une véritable explosion d’approches et de projets multidisciplinaires est sur le point de se produire. La séparation entre les sciences humaines et les sciences dites naturelles est en passe d’être abandonnée au profit d’une approche plus large et universelle fondée sur la science.
À l’avenir, les étudiants devront aussi étudier à plusieurs endroits, ceci dès le début de leurs études. Le marché du travail montre en effet que les personnes qui restent mobiles atteignent leurs objectifs professionnels plus rapidement : cela vaut aussi pour les carrières scientifiques.
La présence physique aux méga-conférences va ainsi diminuer en faveur de la participation en ligne. Malgré cela, les jeunes chercheurs accordent beaucoup plus d’importance que les générations précédentes à une vie privée et à une autonomie équilibrée. Cela ne signifie pas qu’ils travailleront moins, au contraire : à l’avenir, les universités auront à offrir des mesures de soutien adaptées si elles veulent recruter et retenir les bons chercheurs.
Le contact personnel gardera toute son importance. Avec le nombre croissant d’excellents centres de recherche dans le monde, la concurrence pour les idées et pour la publication va s’intensifier, mais l’intensité des collaborations comptera plus que leur nombre.
Il y a enfin l’abandon du processus
traditionnel de publication dans des revues à comité de lecture au profit de la
publication en libre accès. Dans ce
contexte, les nouvelles générations sont encore plus axées sur l’esprit
d’équipe. Les jeunes scientifiques
d’aujourd’hui ont grandi avec les réseaux sociaux, sont optimistes,
indépendants, idealistes, ouverts à l’activité entrepreneuriale, mais les
hiérarchies ne sont pas leur truc. Ils accordent de l’importance à la sécurité
d’emploi, préférant un emploi à la création d’entreprise. Ils s’identifient davantage à leur équipe
qu’à leur institution.
Le statut d’alumni ne reposera plus seulement sur
la présence physique, mais sera peut-être l’expression d’une multitude de
contacts et de liens.
[1] https://alumni.uni-heidelberg.de/down/duz-future-researchalumni.pdf
[2] https://www.humboldt-foundation.de/fileadmin/Bewerben/Leben_und_Forschen_in_Deutschland/research-alumni-broschure-duz.pdf
[3] https://www.humboldt-foundation.de/fileadmin/Bewerben/Leben_und_Forschen_in_Deutschland/research-alumni-broschure-duz.pdf
[4] RGPD : Règlement Général sur la protection des données de l’Union européenne, nᵒ 2016/679, texte de référence en matière de protection des données à caractère personnel. Il renforce et unifie cette protection pour les individus au sein de l’UE.